
SUR LA TERRE DU REMORDS 145
montre le cœur ; qui se montre ensuite lui-même percé,
«
comme pour inviter à entrer
plus avant, à l'union avec ce cœur divin». Chez saint Bernard (1090-1153), certains
passages suggèrent l'idée que le Cœur du Seigneur contient la substance profonde
de la personnalité de Dieu :
« Le
fer a transpercé son âme et il a touché le cœur (...)
le secret du cœur apparaît dans les blessures du corps, apparaissent le grand mystère
de son amour, les profondeurs de la miséricorde divine»
8
. L'accentuation sur le
réalisme de l'Incarnation est donc à l'origine d'une vision particulière du corps du
Christ, centrée sur la plaie et la blessure, mais dans des sens divers
:
un sens «positif»
et un sens
«
négatif».
Dans un sens
positif,
on dira que les blessures du Christ ouvrent le chemin vers
son intériorité. Sur le plan de la mystique, la dévotion est liée à la contemplation des
blessures du Crucifié (les plaies de la Passion). Dans la tradition chrétienne, l'image
de la blessure, de la plaie ouverte s'identifie avec celle de la porte d'entrée. Rupert
de Deutz (f
1129)
par exemple, dit dans son
Traité
de la Trinité :
«
(...) cette porte est
la seule entrée qui donne accès auprès de Dieu»
9
. La mention du Cœur de Jésus à
propos de la blessure de son côté apparaît de même dans La Contemplation
de
Dieu de
Guillaume de Saint-Thierry (tll48) : «(...) je désire le voir tout entier et le toucher,
et non seulement cela, mais accéder à la sacro-sainte blessure de son côté, porte de
l'arche qui est faite sur le côté, non seulement pour y mettre le doigt ou toute la main,
mais pour entrer tout entier jusqu'au cœur même de Jésus, dans l'Arche du Testament,
jusqu'à l'urne d'or»
l0
.
Dans un sens
négatif,
on dira que les blessures du Christ attestent du péché des
hommes. Ici, les plaies du Seigneur ne sont plus une porte d'accès, mais le symbole de
la méchanceté des hommes. Le Cœur est meurtri par nos péchés. C'est ce qu'exprime
par exemple la moniale Mechtilde de Magdebourg (1210-1282), à qui nous devons le
traité Dasfliessende Licht der Gottheit, un livre dont elle prétendait qu' il avait j ailli du
cœur même de Dieu, de sorte qu'elle aurait été la première à parler d'une révélation
du Cœur de Dieu
: «
Dieu se révéla à mon âme et me montra la plaie de son Cœur en
me disant
:
« Vois, quel mal ils m'ont fait
!
»
n
.
A
ce stade, nous sommes déjà en mesure - malgré le risque d'anachronisme - de
dégager deux composantes qui ont marqué l'histoire ancienne du symbole du Sacré-
Cœur. Ce n'est d'ailleurs pas encore une véritable image, mais plutôt
—
dans le cadre
d'une réflexion portant sur la Passion en général - un objet de méditation mis en
relation avec d'autres objets de l'humanité du Christ (les plaies...). Les occurrences
citées suggèrent très tôt la finalité psychologique d'une dévotion qui offre un refuge,
un moyen d'échapper à la
«
dureté des temps
».
Sa vocation « intimiste
»
a pu avoir été
réactivée au
xrx*
siècle, qui est - aux yeux de l'opinion conservatrice - l'image même
du «malheur des temps». Le «Grand siècle» du Sacré-Cœur a en effet été le siècle
des révolutions, des vicissitudes, de l'insécurité psychologique et politique (il a même
inventé l'expression «mal du siècle») : qu'on pense par exemple à l'état d'esprit
prévalant dans l'émigration, au moment de, et après la Révolution française
12
.
Avant
d'être un mouvement littéraire, le Romantisme a d'abord été une attitude d'esprit, qui
trouve sa source dans les frustrations et les souffrances de la période révolutionnaire.
Le premier Romantisme a donc été un Romantisme gentilhomme, né en émigration.
Pour les aristocrates dépossédés, cette vision du monde est née d'un manque à vivre
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