
Y A-T-IL DES TEXTES «
SACRÉS
» EN PHILOSOPHIE ? 235
l'œuvre de Marx en son propre siècle avant ce respect dogmatique de l'axiomatique
stalinienne, autrement dit, rappeler le statut initial de l'œuvre de Marx au
xix*
siècle,
une période où, comparé à la codification posthume de sa pensée, il fut tout à fait
ignoré. Dans le cadre qui nous est imparti ici, nous ne parlerons que schématiquement
de Marx (et pas d'Engels), principalement
en
Allemagne (puisque ne s'y posait pas de
problèmes de traduction) et en négligeant ses multiples discours et articles politiques.
Ainsi, pour s'en tenir d'abord à ses publications majeures durant le
xrx*
siècle, et non
pas à ce qu'il rédigea durant ce même siècle -
c'est,
entre autres, un point capital
que cette différence {publications/manuscrits) pour comprendre le rayonnement
tardif de la pensée de Marx —, deux articles ont été publiés en février 1844 dans
tes Deutsch-Franzôsische Jahrbiïcher: Zur Judenfrage et Zur kritik der Hegelschen
Rechtphilosophie - Einleitung. En 1845, Die heilige Familie est publiée. En 1847,
Misère de la philosophie est traduite en français. En février 1848, le Manifest der
kommunistischen Partei paraît anonymement à Londres - les noms des auteurs
apparaissent en 1872. En 1852, Der Achtzehnte Brumaire des Louis-Bonaparte sort
dans la revue Die Révolution. Zur Kritik der politischen Œkonomie est publiée en
1859
;
Herr
Vogt,
en 1860
;
le livre i de Dos Kapital, en 1867 - après la mort de Marx
en 1883, Engels fit paraître le livre n en 1885 et le livre m en 1894.
Quant aux manuscrits de Marx qui sont aujourd'hui mondialement célèbres,
rappelons qu'ils ne pouvaient absolument pas
l'être
au xrx* siècle pour la bonne et
simple raison qu'ils étaient alors inédits. Pour ne prendre que quelques exemples,
n' oublions pas que Die deutsche Idéologie rédigée en 1845-1846 ne fut publiée qu 'au
xx
e
siècle, en 1932, soit quatre-vingt-sept ans après sa rédaction. Même situation
éditoriale très tardive pour ce que l'on appelle les Œkonomisch-philosophische
Manuskripte aus dem Jahre 1844 qui parurent seulement en 1932, ou les Grundrisse
der Kritik der politischen Œkonomie dont la rédaction date de 1857-1858 et la
publication d'ensemble de 1939-1941. Quant aux fameuses Thesen ùber Feuerbach
rédigées en 1845, elles ne furent publiées qu'à la fin du xrx
6
siècle en allemand en
1888,
soit quarante-trois ans après leur rédaction. On sera donc des plus attentifs aux
dates de publication des écrits de Marx qui ont inévitablement influencé la chronologie
de leurs réceptions potentielles, sans parler ici des délais de traduction de ces mêmes
œuvres dont l'influence ne peut non plus être négligée dans l'histoire de la réception
de l'œuvre de Marx. Des écrits qui eurent donc un destin assez exceptionnel au
XX
e
siècle au cours de la codification des plus rigides du marxisme sous Staline, mais
aussi en dehors et après cette période dogmatique, comme le montre, entre autres, le
devenir des «Thèses sur Feuerbach».
C'est
ainsi que Georges Labica, dans l'ouvrage
qu'il consacra à ces «Thèses» en 1987, rappelait le jugement - qu'il estimait «le
plus enthousiaste» - de L. Goldmann (1913-1970)
*°
qui, disait-il, n'avait pas craint
d'écrire (en 1970): «(...) Nous nous croyons fondé à affirmer que [leur] importance
historique est du même ordre que celle du Discours de la
méthode^
de la Critique de la
raison pure ou de la Phénoménologie de
l'esprit
»
41
. Pour Labica, la comparaison de
Marx à Descartes, Kant et Hegel, indiquait clairement l'importance et la signification
historique que ces « Thèses
»
de Marx avaient pour Goldmann - sans assimiler Lucien
Goldmann aux éditeurs des œuvres de Staline, nous voyons cependant qu'en 1970, il
faisait exactement la comparaison établie en 1945 par
ces
derniers lorsqu'ils mettaient
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