
150 LA SACRALISATION DU POUVOIR
et gravé dans ses armes, pour
les
rendre victorieuses de tous ses ennemis, en abattant
à ses pieds ces têtes orgueilleuses et superbes, pour le rendre triomphant de tous les
ennemis de la sainte Eglise
31
.
Dans ce texte, le vocabulaire monarchique était omniprésent. Ce que Ton
appellera désormais la révélation française du Sacré-Cœur de Jésus comportait cinq
exigences, formulées successivement par le Père éternel et par Jésus-Christ : rentrée
triomphale de la dévotion dans les palais des grands par l'entremise du roi de France ;
l'apposition de l'image sur les étendards royaux ; la construction d'un édifice où
figurerait le tableau du divin Cœur ; dans cet édifice, la consécration du roi et de la
cour ; la messe en l'honneur du Sacré-Cœur. Un véritable contrat était passé, parce
qu'en échange, le Sacré-Cœur serait désormais le protecteur du monarque ; il devait
lui apporter le succès des armes et faire de lui un nouveau Constantin, le modèle
même du monarque chrétien.
La révélation de Paray dépassait donc de loin le cadre de la simple expérience
mystique. Elle faisait de la visionnaire une médiatrice entre Dieu et le roi. Le message
mettait en place une dialectique de l'amour et de la crainte, puisque l'amour méconnu
exigeait réparation. Alors que, selon ses biographes, Marguerite-Marie ignorait tout
des événements contemporains, elle exprimait, depuis un obscur couvent de province,
sa participation à la situation de la communauté nationale. Elle n'hésitait pas à
demander l'amendement moral du roi lui-même : le Seigneur avait choisi Louis xiv
pour accomplir un grand dessein, mais aussi pour le rendre meilleur :
«
Son Cœur veut
triompher du sien... ».
C'est
dans cette pensée qu'elle se serait substituée elle-même à
la personne du roi, devant le Saint-Sacrement, et qu'elle connut mystérieusement les
désordres de la chair
32
. Ce dernier point ouvrait la voie à des scrupules théologiques.
En effet, le message aurait été plus approprié à la personnalité de saint Louis qu'à celle
de Louis xiv. Le roi devait obtenir une « naissance de grâce », et « son cœur devait
être vaincu » : autant dire qu'il devait s'enrichir de trésors de sanctification avant de
faire courir la dévotion dans les palais des princes de la terre
;
une mission qui pouvait
paraître difficile à assumer de la part du nouveau converti que la voyante semblait
voir en lui. Mais, objecteront certains théologiens, Dieu aurait-il pu s'adresser en ces
termes - « Mon Cœur veut triompher du tien » - à un saint Louis ?
33
On voit aussi la contradiction que renfermaient les termes mêmes du message :
d'une
part, en s'adressant au «fils aîné de mon Sacré-Cœur», le Christ donnait
l'impression de s'adresser non à Louis xiv, mais au roi de France, alors que, dans le
même temps l'allusion à la « naissance de grâce » laissait plutôt supposer un message
personnel. D'autre part, la recommandation de faire courir le message dans les palais
indiquait une visée à longue portée : humilié par des princes, le Seigneur voulait être
glorifié par des
princes,
ce qui légitimait la demande relative au drapeau. La révélation
de Paray dépassait en tout cas de loin le cadre de la simple expérience mystique, en
faisant de la visionnaire une médiatrice entre Dieu et le roi.
On ne sait d'ailleurs rien du sort qui tut réservé au message. Soit le roi ne l'a
jamais connu
;
soit il ne l'a pas cru ; soit encore il ne s'en est pas préoccupé, malgré un
entourage socio-religieux particulièrement favorable, dont le centre était le couvent de
La Visitation de Chaillot. Celui-ci avait été fondé en 1651 sous
le
patronage prestigieux
d'une
reine d'Angleterre en exil, Henriette-Marie de France (1609-1669), fille du roi
Komentarze do niniejszej Instrukcji